Aires Mateus-Intro

Dans le cadre de la préfiguration du Centre de Création Contemporaine Olivier Debré qui sera livré par l’agence lisboète fin 2016, le CCC présente une monographie qui rassemble, sous forme de maquettes, la grande majorité des projets et réalisations des architectes portugais Manuel et Francisco Aires Mateus. L’espace d’exposition se transforme pour l’occasion en une « démonstration architecturale », une sorte d’atelier ou de laboratoire dans lequel le spectateur est invité à s’immerger.

Chaque projet est présenté sous la forme d’une maquette blanche à l’échelle 1 : 200.  En architecture, l’échelle définit le rapport entre la mesure d’un objet réel et sa représentation. Chaque échelle permet de présenter de façon privilégiée un détail ou une problématique particulière. 1 : 200 est l’échelle idéale pour le dessin dit « de distribution », autrement dit pour rendre compte de l’agencement spatial, des percements du bâtiment, des spécificités du volume et de son rapport au site de construction. Cette échelle permet également de transformer l’architecture en un véritable objet qui peut être pris en main et manipulé par le spectateur dans l’exposition, pour expérimenter tactilement la spécificité formelle et graphique de chaque projet. Par ce geste, l’architecture librement manipulable dans l’espace devient un objet complètement décontextualisé, « désorienté » qui démultiplie les projections possibles et les effets d’espaces. 

Cette conception scénographique se différencie clairement des deux dispositifs d’exposition des frères Aires Mateus au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en 2008[1] et pour la Biennale de Venise en 2010. Alors que l’installation de Bruxelles insistait, à l’aide de l’agencement de matériaux lourds, sur la matérialité et la dimension sculpturale de l’objet architectural, la présentation de Venise intitulée « VOID » se focalisait sur leur conception architectonique du vide, sur la pensée des limites définissant la forme architecturale. A Tours, il s’agit de présenter une vision plus lexicale des possibilités de leur architecture, en la déclinant et en l’articulant de façon systématique comme une sorte de grammaire de la multitude des rapports possibles entre espace et architecture. On peut l’interpréter comme une grammaire abstraite et évolutive qui forme la base structurelle et formelle aussi bien qu’immatérielle et conceptuelle du projet architectural, comme une « boîte à outils » démontrant les potentialités quasi infinies de leur approche architecturale.

Comme pour chaque projet d’exposition, il s’agit pour les architectes de concevoir un dispositif qui « explore une méthodologie et développe un mode de pensée ». Cette fois, l’objectif est d’introduire le spectateur à la singularité de la proposition architecturale mise en œuvre dans le cadre du nouveau bâtiment du CCCOD de Tours.

Aires Mateus-1 image

  • Image-1

    Image-1

Aires Mateus-Intro 2

Deux principes régulateurs sont à retenir au sein de ce « lexique d’espaces ». Le premier est d’ordre structurel et formel. On pourrait le définir comme une dialectique des antinomies, soit une recherche privilégiant la mise en évidence d’un certain nombre d’oppositions ou d’interactions qui déterminent ce que l’on pourrait nommer leur « valeur architecturale ». Ainsi au sein d’un même projet s’opposent et s’harmonisent les valeurs négatives et positives : le vide se trouve face à un volume plein et monolithique, l’affirmation des limites contraste avec une fluidité de circulation, la régularité géométrique s’oppose au sentiment de décomposition ou de dislocation. Le rapport à l’espace environnant et aux valeurs immatérielles qu’un site d’intervention peut suggérer, constitue le second principe. Cette démarche nécessite une lecture fine du contexte d’intervention dans lequel s’inscrit le projet architectural pour y intégrer des données captées de manière analogique et dialogique. 

 
L’origine et l’originalité de cette double approche peuvent être aisément re-contextualisées dans l’histoire de l’architecture portugaise récente qui a pris un nouvel essor avec la fin de la dictature de Salazar - la Révolution des Oeillets du 25 avril 1974. Cet événement majeur a inauguré une nouvelle ère pour l’architecture au Portugal, avec l’émergence de la recherche d’une véritable identité architecturale tournée vers la création européenne des années 1970. Alvaro Siza est incontestablement le personnage clé de cette nouvelle donne. Il est issu d’une tradition moderniste (Alvar Aalto, Bauhaus notamment) et d’une interprétation critique du vernaculaire portugais, notamment des typologies simples et de la grande économie de  construction de la maison portugaise traditionnelle. Si son professeur, Fernando Tavora – véritable chaînon vivant entre traditions locales, vernaculaires et mouvement moderne – a  conceptuellement porté le principe de cette double influence, Alvaro Siza est le premier architecte portugais qui a su transposer cette exigence dans la réalité de la construction architecturale en créant un lien concret entre une architecture traditionnelle, simple et frugale, fortement enracinée et une approche moderniste à caractère plus universel. 
Il serait complètement faux en effet de considérer l’architecture de Siza comme simplement régionaliste. Comme il a été justement souligné, « la sensibilité (d’Alvaro Siza) aux nuances et aux traits génériques des lieux ne peut être réduite à aucune recette simpliste de « contextualisme » ou de  « typologie » dans la mesure où elle se  fie d’abord à une intégration intuitive des éléments invisibles caractéristiques du lieu, puis à leur transformation inventive en espaces architecturaux[2] ».  Ces caractéristiques sont considérées comme constitutives d’un véritable potentiel d’innovation. Elles seront intériorisées et interprétées par les nouvelles générations d’architectes portugais comme Edouardo Souto de Moura, Gonçalo Byrne, João Luís Carrilho da Graça… Mais elles seront aussi reconnues au sein de la réflexion théorique influente de l’architecte américain Kenneth Frampton qui souligne, en 1983, dans son texte sur le Régionalisme critique, l’importance pour la création architecturale de la prise en considération des facteurs locaux et régionaux tels que la topographie ou la morphologie géologique, le climat, la lumière et la tectonique. 
Les deux principes régulateurs du lexique d’espaces des frères Aires Mateus, leur contenu structurel et contextuel, s’inscrivent ainsi dans la continuité historique de la richesse de l’architecture portugaise récente. Considérée dans un sens restreint, la « dialectique et l’équilibre des antinomies » renvoie aux leçons classiques de l’architecture moderniste et plus encore aux traditions locales des villages portugais anciens, par la qualité de leurs contrastes multiples (ombre/lumière, blanc/terre, etc.) et de leur composition géométrique. On peut y voir aussi l’influence directe de l’architecture de Gonçalo Byrne, défini par Manuel Aires Mateus comme « un architecte de l’équilibre ». De même, la réflexion sur la prise en compte du site comme point de départ du projet architectural rencontre la complexité théorique du Régionalisme critique. Cependant les frères Aires Mateus transgressent et élargissent sans cesse ce cadre par le fait que chez eux chaque projet se condense plus spécifiquement dans la production d’expérimentations spatiales – la véritable «  valeur architecturale » selon eux. Comme chez Siza, la production de ce « lexique d’espaces » a pour finalité de « réinventer le monde à travers la spatialité (…) à travers la création d’une nouvelle dimension fondée sur la manière dont [le projet] gère l’insertion du mouvement dans l’architecture »[3]. En ce sens, les frères Aires Mateus mettent moins l’emphase sur l’aspect physique de l’architecture que sur l’espace défini et configuré par ses limites matérielles et constructives.

Aires Mateus-2 images

Aires Mateus-Crédits

Exposition réalisée en collaboration avec la Maison de l'Architecture du Centre
©
Scénographie :
Graphisme :